HC : Rencontre 3/6
Il faut que je me dépêche… Raaahh, quel idiot je suis, arriver en retard aujourd’hui. Premier jour de boulot, panne d’oreiller. Ça fait sérieux ! Bon, plus que dix mètres et j’arrive à l’arrêt de bus. Pourvu qu’il y ait pas trop de bouchons ce matin ! Sortir de la rue des chantiers, c’est toujours laborieux ! Et puis merde, tous ces cons de passants qui se foutent en plein milieu du trottoir. Et vas-y que je papote, que je rigole, que j’agite les bras tout en en parlant ! Et bim, ça a pas loupé, je viens de me manger une mandale par le cliché d’une mama italienne. Oui oui, je sais, vous êtes désolée, mais franchement, j’en ai rien à carrer ! C’est ce qu’on voudrait tous hurler quand des trucs comme ça nous arrivent. Mais non, on dit c’est pas grave, et on continue. De toute façon, j’ai pas le temps de l’engueuler, le bus est en train de se barrer. Allez, un dernier sprint ! Il va bien voir que je cours pour le prendre, et il va s’arrêter, non ? Non ! Je suis à côté, je braille « Ohé, attendez-moi ! Dites au conducteur de s’arrêter ! ». Le couple de l’autre côté de la vitre en a rien a foutre, ils sont trop occupés à se regarder dans le blanc des yeux. Et le bus s’arrête pas ! Putain ! Je suis sûr que le conducteur l’a fait exprès ! ça y est, le bus R est parti, et avec lui mes ambitions d’arriver à l’heure pour mon premier jour !
Et bien, c’est vraiment dur de garder les yeux ouverts ce matin. Faut dire aussi que le programme de la journée n’a rien de réjouissant : biochimie et géologie ! Mes deux Némésis ! Sérieusement, quel est l’intérêt de faire de la chimie en licence de bio ? Encore, en optionnel, pourquoi pas. Mais pourquoi en obligatoire ? C’est ce que j’explique à mon amie Marie qui est avec moi dans le bus R qui nous mène à l’université de Versailles. Et la géol, ça c’est le calvaire. Pourtant, cette fois c’est de la bio, non ? fait remarquer naïvement Marie. C’est vrai qu’elle a choisi physique, elle. Elle ne peut pas comprendre. Il y a bio et bio ! Ce qui m’intéresse moi, c’est la génétique, pas les roches ! Mais il faut bien en passer par là pour avoir sa licence. Même si je ne sais pas trop à quoi ça va me servir. Comme tous les étudiants, me fait remarquer Marie. Oui, sans doute. Mais tiens, en voilà deux pour qui l’avenir n’est pas un souci. Un beau petit couple qui à l’air seul au monde au milieu du bus bondé. Pourtant, remarque Marie, ils ont l’air de ne pas bien se connaître. Tu crois qu’ils viennent de se rencontrer ? Je ne sais pas, mais si c’est le cas, ça risque de durer longtemps leur histoire. C’est un peu con comme expression, mais il y a de l’amour dans l’air ! C’est vraiment rageant, les beaux mecs sont toujours pris ou sur le point d’être pris. Il faut dire que la fille en face de lui est vraiment magnifique. Allez, soyons joyeux, c’est toujours touchant une histoire sur le point de commencer. Marie vient de trouver la page horoscope du 20 minutes… il me dit que je vais m’épanouir dans mon travail ou mes études aujourd’hui. Biochimie et géol… Pourquoi on croit les horoscopes déjà ?
« Anne court pour sauver sa vie. C’est une course de la dernière chance, une course pour la vie, une course contre la mort qui se rapproche d’elle en rampant… » Et ben, si elle rampe, la mort ne risque pas de la rattraper. Ce bouquin est vraiment nul. Et mal écrit ! « Malgré que le doute s’installe en elle, elle est certaine de s’en sortir… » N’importe quoi ! Je passe sur le malgré que, mais comment le doute peut s’installer si elle est certaine ? Un peu de cohérence. J’ai payé 7 euros pour une merde qui ne devrait même pas servir de papier toilette ! Et dire que c’est maman qui me l’a conseillé. Il faut dire que maman n’a pas des gouts littéraires fantastiques… Entre ses histoires d’amour à l’eau de rose avec « un bel inconnu à la beauté troublante et puissante à la fois » - c’est un homme ou un parfum ?!? – et ses thriller « au suspense insoutenable » - tu m’étonnes, c’est tellement mauvais que la lecture est vraiment insoutenable ! - ; ma mère a tout du lecteur de gares. Enfin bon, j’ai laissé tomber mon « chef-d’œuvre littéraire » pour regarder par la vitre du bus le monde au dehors. On voit encore un pauvre type essoufflé d’avoir couru. On a pourtant prévenu le conducteur qu’il arrivait, mais celui-ci n’en avait rien à cirer visiblement. D’ailleurs, il n’a pas l’air d’avoir d’intérêt pour grand-chose ce type. Il a l’œil terne. Je devrais lui laisser mon bouquin minable. Il saurait ce qu’est le vrai pathétisme. Néanmoins, c’est pas le seul qui a les yeux tristes ici. Ils sont nombreux à avoir le regard perdu. C’est peut être les transports en communs qui font ça. C’est pareil dans le métro. Voire pire ! Voire MEME pire, dirait mon nouvel auteur détesté. Il n’y a pas assez d’espace. On est les uns sur les autres. L’homme n’est pas fait pour se sentir oppressé. On a même l’impression que l’air est vicié. C’est idiot, on est tous propres là-dedans, mais malgré tout, on se sent mal. Enfin, c’est pas le cas de tout le monde ! Il y en a deux là, qui ne sont pas vraiment dans le bus. Ils sont plongés dans le regard l’un de l’autre. C’est sans doute ça l’amour. C’est pas un « sentiment majestueux et puissant qui vous emporte au paradis » - sic !- c’est un feu qui met du temps à se mettre en route, qui peut irradier longtemps comme s’éteindre très vite. L’amour n’a rien de somptueux ou majestueux, c’est juste terriblement touchant et humain. Horreur, voilà que je parle comme l’assassin de la langue française maintenant ! Mais, même si mes mots sont maladroits, ils essayent d’être justes. Ces deux là se connaissent à peine, ils croient se connaître, mais ne savent rien de l’autre. Ce n’est que le balbutiement d’une relation. C’est plus fragile qu’un amour, c’est une rencontre…
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