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Juste quelques mots
24 septembre 2009

HC: Rencontre 4/6

Il est huit heures quarante-cinq du matin, et comme tous les jours Sarah Cagnas est coincée dans les embouteillages parisiens. Agée de vint-neuf ans, sa vie est d’une monotonie à toute épreuve. Elle avoue elle-même que sa vie est dirigée par l’habitude et le quotidien. Rien de surprenant ne lui arrive jamais, elle n’est jamais la proie de l’inattendu. « Vis ta journée comme celle d’hier » semble être sa devise favorite, et tout son être s’y consacre sans le moindre entrain. Elle se lève à 7h00, prépare le petit déjeuner pour ses hommes, comme elle dit, va réveiller son fils puis son mari à 7h10, s’enferme dans la salle de bains jusqu’à 7h50, avant de manger, de s’habiller et enfin de partir emmener le petit à l’école pour huit heure et demi. Après, sa vue se résume au capot arrière d’une voiture durant son trajet d’une bonne heure, puis pendant toute la journée aux visages souvent antipathiques des clients qu’elle sert à la banque où elle travaille. Le soir le rituel est à peu près similaire, et ceci tous les jours de la semaine, avec parfois des variantes (emmener le fils chez la nourrice quand il n’y a pas école) et coupé de la sortie dominical au parc le plus proche de chez eux tous les dimanches après-midi. Décidément, rien de nouveau ne lui arrive jamais.

Et cette journée semble suivre la voie routinière empruntée par les précédentes. Sarah ressort de la brasserie où elle va manger tous les jours avec sa collègue Bettie, où elles échangent des potins se ressemblant tous sur les employés ou les clients réguliers. Le défilé de visages reprend, défilé où s’enchaînent les râleurs, les désespérés, les odieux, et quelques fois, quand la chance lui sourit, les courtois et les gentils. Mais aujourd’hui, la chance lui fait la tête, et elle se retrouve face à un pot de colle dont elle voudrait bien se débarrasser. Et c’est parti pour une demi-heure de lamentations sur les affres de la vie, les déboires d’un petit homme replet dont le visage totalement insignifiant s’anime au fur et à mesure du flot continu de paroles qu’il débite avec la dextérité d’un orateur habitué à se plaindre à son miroir. Lorsque celui-ci aborde ses problèmes conjugaux et intimes, Sarah l’interrompt, au grand soulagement des clients suivants. Le petit homme grincheux finit par s’en aller, mais bien entendu, quelqu’un d’autre prend sa place face à la jeune femme. Celui-ci souhaite transférer de l’argent entre deux comptes, ce que Sarah s’empresse de faire. Elle tape sur son clavier et manipule la souris d’une main experte, en femme habituée à faire ce genre de manœuvre.

Pendant ce temps, le client se permet une petite remarque sur le petit homme triste qui vient de partir : « Il doit se sentir bien seul, cet homme… »
-    « Pardon ? » répond Sarah d’une voix paresseuse, presque ensommeillée.
-    « le Monsieur qui vient de partir. Celui qui parlait tant. »
-    « Oh, oui, il avait l’air triste », répliqua Sarah en mentant outrageusement, car elle avait déjà oublié jusqu’à la forme de son visage. « Il m’a fait de la peine » assura-t-elle, sachant qu’un peu de commisération assure toujours la sympathie des clients. Et qui dit sympathie, dit travail plus facile pour elle.
-    « A moi aussi, vraiment… » dit-il sur un ton si simple et si doux, que Sarah en arrêta son pianotage. «Il se sent pris au piège et abandonné. La monotonie et la solitude doivent vraiment l’effrayer. Il fait tout pour fuir la routine qui l’entrave. Contrairement à beaucoup, il se rend compte qu’il est malheureux, mais ça ne suffit pas à le rendre heureux pour autant… »
Face à la tristesse infinie de sa voix, Sarah avait levé les yeux de l’ordinateur et regarda l’homme debout en face d’elle. C’était la première fois depuis très longtemps qu’elle regardait vraiment quelqu’un. Son visage doux et fatigué, ses cheveux gris et courts et surtout ses yeux mélancoliques se gravèrent instantanément en elle. Et bien des années plus tard, lorsqu’elle arrivera à la fin de sa vie, ce visage emplit d’amertume continuera de hanter ses souvenirs. L’homme lui fit un sourire et un hochement de tête, et elle reprit machinalement son travail. Puis, tandis qu’il partait, il la regarda longuement tout en lui souhaitant la bonne journée. Souhait auquel elle répondit avec ferveur pour la première fois depuis cinq ans.

Mais la journée ne fut pas bonne, elle fut banale, comme toutes les précédentes. Son fils est couché, son mari dort près d’elle dans le lit, sa respiration aussi régulière qu’un métronome. Mais quand elle ferme les yeux, elle revoit le visage de cet inconnu qu’elle ne reverra plus jamais, et ses mots résonnent dans ses oreilles. « Il se rend compte qu’il est malheureux, mais ça ne suffit pas à la rendre heureux pour autant… » Et dans la pénombre de la chambre, Sarah se mit à pleurer. Agée de vingt-neuf ans, sa vie est d’une monotonie à toute épreuve. Mais c’est la première fois qu’elle se sent vraiment écrasée par le poids de l’habitude et du quotidien…

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Commentaires
J
C'est vraiment petit de ta part de t'insurger sur un détail du texte comme ça! lol<br /> Non, sérieusement, et comme souvent, je maintiens ce que j'ai dit (enfin écrit... (enfin.. bref!)), parce que Sarah profite vraiment de sa journée durant ces quarante minutes dans le bain, alors laisse lui au moins ça! lol
C
Merde. En venant voir si tu m'avais répondu, je me suis rendu compte que c'était depuis 7h10 et pas 7h que cette chère madame se pomponnait dans la salle de bains. Enfin bref. Ça fait encore trop. Na.
C
Elle passe 50 mn dans la salle de bains ?? Même pour une femme, c'est beaucoup trop. Il faut que tu corriges ça hein, moi je dirais que 20 mn ça fait plus crédible déjà ^^<br /> <br /> Bon à part ce léger détail, tu écris toujours aussi bien. Je te l'avais dit que t'aurais dû faire des études littéraires. Mais on m'écoute jamais. De toute façon, ma seule occupation est de faire des études sur le temps passé en salle de bains, et la vie c'est nul, et j'ai pas demandé à venir au monde et aaaaah !!!!<br /> <br /> Bref. <br /> A bientôt, VOUS
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