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Juste quelques mots
25 juillet 2008

HC : Andromède

     Les chaînes qui lui enserraient le cou et les poignets meurtrissaient ses chairs et son âme. Elle était là depuis l’aube, attachée à ce rocher qui surplombait la mer. Son père, Céphée, l’avait regardé une dernière fois, sans rien dire ; et ce regard voulait dire adieu. Andromède avait béni son père pour sa retenue, car il évitait de rajouter sa peine au fardeau que sa fille portait. Mais l’enfant avait accueilli avec bienveillance les larmes de sa mère Cassiopée, comme la dernière preuve d’amour de ses parents.

    

     Son peuple était aussi venu lui rendre un dernier hommage, en retrait derrière Céphée et Cassiopée, leur roi et reine. Mais au bout d’un moment, ils étaient tous partis, la laissant seule face à l’océan. Celui-ci était déchaîné, les vagues léchaient la côte, les remous violents perturbaient la surface de l’eau. Le fracas des vagues sur le rivage était assourdissant, et affreusement régulier. Andromède n’était pas épargnée par la manifestation de la colère de Poséidon, les vagues froides se ruaient sur la princesse entravée. Les lames du seigneur des mers semblaient même avoir la jeune fille pour cible. Et c’était le cas, vu qu’elle était la responsable de cette colère divine.

    

     Céphée, roi d’Ethiopie, était terriblement inquiet. Voilà plusieurs mois que le courroux du dieu des mers s’abattait sur son pays, sous forme de vagues gigantesques, qui ravageaient ses côtes, et engloutissaient ses villages. Or, pour cette terre asséchée par Apollon, la mer était une richesse incroyable, et son peuple de fervents dévots du seigneur au trident. Le souverain ne comprenait pas ce qui motivait la fureur des dieux, mais elle allait en s’amplifiant. Le dieu du soleil, déjà cruel avec ces terres, avait décoché ses flèches empoisonnées. La maladie se répandait parmi les éthiopiens. Au comble du désarroi, Céphée avait fait venir un oracle, mais ses paroles se sont avérées terrifiantes. La colère des dieux était due à la beauté hors du commun d’Andromède, beauté qui rivalisait avec celle des immortels. Les habitants de l’Olympe ne pouvaient tolérer pareil affront, et en échange des bienfaits prodigués pendant tant d’années, Poséidon réclamait la vie d’Andromède. Céphée a hurlé son refus au devin, mais celui-ci a prophétisé : « le dieu a envoyé un bourreau, Léviathan, un monstre marin chargé d’enlever la vie de votre fille. Mais si le serpent de mer ne peut accomplir la volonté du dieu, c’est tout votre peuple qui paiera le tribut au dieu. Le Léviathan sera là dans trois jours… » Depuis la terrible prophétie, le devoir du souverain s’entrechoquait avec l’amour du père, et Céphée était dans un état hébété. C’est sa propre fille qui décida à la place du père. Elle le supplia de la laisser faire ce sacrifice. « Père, vous savez bien que nul ne peut aller contre la volonté des dieux. Rien ne pourra jamais me protéger de leurs humeurs. Laissez-moi aller au devant de la mort, puisque tel est mon destin. » Le père s’était rangé à l’esprit de son enfant, et lui donna sa bénédiction. Il avait aussi fait forger des chaînes qui seraient les garants de la force de caractère de sa fille.

    

     Et ni les chaînes, ni la volonté d’Andromède ne cédaient face aux assauts de l’océan. La princesse puisait son courage dans le bleu magnifique du ciel. Elle ramena son regard sur l’étendue d’eau. Quelque chose venait de changer. Elle le sentait. Elle scruta les flots bleus. Et le vit. Le monstre était là, le serpent de mer, l’envoyé de Poséidon : le Léviathan était là. Il ondulait à la surface de l’eau, et s’avançait doucement vers elle. La peur s’empara d’Andromède, devant le monstre au corps long, souple et sinueux, aux écailles blanchâtres et luisantes. Il s’agita, sortit la tête hors de l’eau. Sa gueule était grande ouverte, une langue fourchue lacérant l’air. Des collerettes qui encerclaient sa gueule frémissaient, et ses yeux fixaient la princesse enchaînée. Elle fut prise d’une bouffée de panique, tira sur ses liens, souhaitant plus que tout fuir. La bête échappa un râle, la captive des pleurs. Elle avait détourné les yeux du monstre ; mais se rappelant sa décision, elle prit une profonde inspiration, et rouvrit les yeux. Un temps à la fois infiniment court et long passa. Enfin, la bête était prête, et Andromède aussi.

    

     Elle laissa sa vue englober l’horizon, et vit une forme étrange dans le ciel. Elle n’arriva pas à déterminer ce que c’était ; mais étrangement, cette vision lui redonna espoir. L’instant d’après, une vague gigantesque déferla sur elle.

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Commentaires
L
(Tu vois que tu en as des commentaires...)<br /> <br /> <br /> C'est sans doute, des textes lus ce soir, le texte que j'ai préféré. D'ailleurs au début, j'ai cru que c'était un extrait des textes antiques mais vu le contexte de l'article, j'ai du me résigner à l'idée : c'est bien lui qui a écrit ce texte.<br /> <br /> Je trouve le texte fier et superbe, que dire de plus?
L
c'est bien écrit, je suis juste envahie par un profond sentiment d'injustice, pire que dans Iphigénie, car là, la seule raison du courroux des dieux est la trop grande beauté d'Andromède...
C
Chui un aussi un peu déçu par la fin, pas à cause du fait que ça s'arrête en plein milieu de l'action, on sait bien ce qu'il va se passer, mais à cause de la forme étrange qui lui redonne espoir, là j'ai vraiment pas compris à quoi ça pouvait faire allusion.
K
j'aime bien, dommage qu'on n'ai pas la fin de l'histoire
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